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Les mots d'hugo

Lange et la mort

30 Novembre 2022 Publié dans #nouvelles

                         Un ange de passage sur la terre se retrouva, de façon tout à fait fortuite et bien contre son gré, dans la plus invraisemblable des situations. Un jour s’en crier gare, il fit la plus étonnante des rencontre ; celle de la mort !

                        C’était un soir d’automne, au sortir des chaleurs de l’été. La fraîcheur de la brise annonçait déjà les futures rigueurs de l’hiver tandis que le ciel alternait son passage de nuage et d’étoiles. La vie semblait couler paisiblement. Le séraphin vaquait à ses affaires les maîtrisant d’un sens divin et, après avoir, pour quelque temps, égayé un chemin, il retournait vers son lieu de prière, son sanctuaire, quant au détour d’une rue trop sombre, il fut interpellé.

                            La mort caché parmi les ombres de l’impasse lançait un étrange hululement dans lequel il reconnu son nom. Surpris tant qu’étonné, par ce baroque appel, il s’avança vers la ruelle et distingua une étrange forme, drapée de noir, une faux à la main, et se dressant maladroitement. A son approche, elle leva la tête, laissant deviner les deux orbites vides de son faciès grimaçant, alors le grincement prit de l’ampleur. Il se répercutait maintenant sur chacun des murs, sur le sol, emplissant l’air de sa sépulcrale attente.

                         Soudain l’ange compris ce qui tendait cette rencontre ; elle était là pour lui. Lui déjà mort depuis si longtemps qu’il l’avait presque oublié. Lui l’esprit de lumière, immortel par excellence. Il rit face à cette situation surréaliste et totalement inepte. Mais, la mort ne semblait pas vouloir faire machine arrière. Elle se redressait de plus en plus ; affligeant au monde son visage squelettique, son indéfectible désincarnation et s’approchait gelant tout aux alentours.

                      Le pur esprit tenta de la raisonner, arguant fermement qu’il était hors de sa juridiction en ce qui le concernait. Que sa position, d’ange, de Séraphin pour être plus précis, faisait de lui un intouchable puisqu’il n’était déjà plus de ce monde. Bref, qu’il était mort depuis longtemps, très, précisa t-il, et que de ce fait il lui était, malgré sa sympathie et son bon vouloir, impossible d’accéder à la requête de la mort et de la suivre. Cependant, cette dernière ne l’entendait pas de la sorte. Elle fouilla son habit ténébreux et tendit la main. Dans cette dernière, il put, sur un vieux parchemin, lire son nom puis la date et l’heure à laquelle il devait quitter se monde.

                             Observateur, il regarda l’année et rit de plus belle. La mort loin d’être dans le même état d’esprit s’approcha plus encore et le prit sous son voile noir. Et tandis que les ténèbres se refermaient sur lui, il arracha l’acte qu’elle avait en main, le mit devant les orbites vides et dit : « Regarde la date ! L’an trois cent cinquante sept ! Nous sommes en deux mille trois cent cinquante sept ! Tu comprends ! »

                        Non, elle ne voulait pas comprendre ; c’est écrit ; un point c’est tout. L’ange soupira, conscient qu’avec un regard si vide il fut difficile de voir quoi que ce soit. Il tenta donc une démonstration un peu moins visuelle, fit un effort pour replonger dans ses annales et lui rappela leurs diverses rencontres.

Pour une fois son interlocuteur sembla ouvrir les yeux quelque peu ; elle se souvenait de cette rencontre en cinq cent soixante. Elle l’avait cueillit au saut du lit, d’un coup net et brutal, en serrant son cœur dans l’ossuaire de sa main. Elle avait prit sa vie, brisé son élan et laissé seul avec son incompréhension, sa difficulté à saisir la situation. Elle se revoyait très bien s’éloigner puis s’arrêter de temps à autre, se retourner et regarder cette âme en peine, encore incapable de comprendre qu’elle venait d’être libérée. Elle avait trouvé son attitude touchante, bien qu’elle fût sans vie, sans cœur, sans rien en fait. Mais c’était il y avait bien longtemps, précisa t-elle, donc cela n’avait pas d’incidence sur l’instant.

L’ange lui fit quand même remarquer le problème de chronologie entre ce dont elle se souvenait et la date qu’elle prétendait défendre. Cela troubla la mort. La secoua même.

De longue minute, elle fit silence. Puis effectua quelque pas en arrière, eut un hoquet et s’écroula sur le sol. Elle gisait dans la pénombre, dans l’essence même de son existence ; inerte, comme morte.

Il s’approcha de la mort, mit un genou à terre et avança la main vers le dais noir. Puis il prit la tête de l’infortunée, la souleva légèrement, et fut frappé par une inimaginable et insupportable odeur de mauvais alcool. Malgré cela, il l’aida à se remettre, péniblement, sur les os de ses pieds, puis d’une boule d’énergie fit disparaître son hébétude.

Immédiatement la mort fut sur pieds. Bredouilla des excuses invraisemblables, sachant pertinemment que personne ne serait dupe. Puis fit volte face et s’enfuit en flottant.

Tiens se dit l’ange en retournant vers le boulevard et la lumière, j‘avais oublié cela. Mais maintenant ces vieux souvenirs étaient mis en exergue ; la mort tous les deux ou trois cent ans, arrivait à capter des énergies pleines d’ivresse. Pour ce faire elle traînait dans certains bouges infâmes et se nourrissait des effluves de ceux qui y séjournaient. Sa viré durait deux, trois voir quatre ans, ce qui donne une vague idée de sa capacité d’absorption.

Au début de son pèlerinage son action ne se dégradait pas encore trop. Mais plus le temps avançait, plus elle faisait d’erreurs. Finissant immanquablement, la dernière année, par ne s’attaquer pratiquement qu’à des immortels et se heurter, immanquablement, à une bien réelle impossibilité. A chaque fois la lumière faisait son office et dissipait les effluves spirituels nocifs et à chaque fois, la mort replongeait de plus belle, comme pour fuir sa condition, son impardonnable rencontre.

L’ange reconnu que la tâche était ingrate, la condition on ne peut plus médiocre. Et cette convenue fit disparaître le malaise qu’il ressentait à être sur cette terre. Finalement sa position n’était pas des plus désagréables mais surtout elle était temporaire.

Cette découverte faisait encore grandir ces perceptions. Il avançait sur le trottoir et arborait un divin sourire. Toute rancœur avait disparu. Il était de nouveau heureux. Libre d’accepter sa condition et son destin. Libre d’être, tout simplement.

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