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Les mots d'hugo

Renaissance 2015 (Nouvelle 2)

29 Janvier 2023 Publié dans #recueil de nouvelles

Renaissance 2015 (Nouvelle 2)

La rose.

 

 

 

 

 

 

A vrai dire, je ne sais pas encore très bien qui je suis, ni même, ce que je suis. Pour être honnête, c'est tout juste si j'ai conscience de mon exis­tence ; ne sachant à quelle race, quelle catégorie, ni même à quel genre j'appar­tiens. La seule chose dont je sois vraiment sûr, c'est d'être en vie. Cependant, je ne peux m'empêcher de me questionner sur ce qu'elle me réserve, sur le devenir de cette existence qui reste, à tous les niveaux, un mystère.

Cette réflexion est d'autant plus intense qu'une étrange et inextin­guible sensation persiste au centre de la matière me composant. Comme une dé­chirure, faite il y a longtemps, où se mêlent des impressions de réminiscence et d'abandon ; une sorte de fulgurance qui laisse planer un sentiment de renais­sance.

Une perception déstabilisante à l'aube de ma propre découverte et qui donne, paradoxalement, naissance à un émoi né d'une longue attente à l'im­placable solitude qui rend tout noir et glacial. Cependant cet agrégat glauque semble se déliter sous les effets d'une impulsion transformatrice qui pulse en moi, annonçant son prochain et inéluctable avènement ; la vie !

 

 

Cette vie qui est en moi, je la perçois aux alentours, elle pulse et vibre, là quelque part au-dessus de ma présence. Il y a des tremblements, de la chaleur. De la lenteur, de l'impulsion ; toute une gamme de saveurs rythmiques qui sont, aujourd’hui, mon monde.

Malgré l'attente, rien ne se passe et je me languis. L'ennui com­mence à devenir un compagnon trop encombrant ; presque écrasant. Mais sous son joug pesant la cognition de mon existence prend de nouvelles teintes, de nouvelles saveurs. Les choses semblent évoluer, se préciser lentement ; l'onde transformatrice s'est amplifiée, prête à l'explosion, prête à l'existence.

L'énergie qui naît en moi et celle qui m'entoure semblent avancer de concert, cependant une barrière se dresse entre nos identités. Tout semble se mouvoir, d'une manière ou d'une autre, mais je ne peux pas bouger ; je suis figé. Prisonnier de circonstances sur lesquelles je ne peux ni agir, ni intervenir. Puis ce feu dévastateur qui dévore mes entrailles atteint l'apothéose de son ex­pression et s'empare de mes perceptions pour les dévorer, les dévaster. Ensuite la tornade émotionnelle retombe et laisse s'ébaucher les prémices de la conscience ; une étonnante sensation, une merveilleuse découverte !

 

Cette révélation a fait son chemin lentement, elle a pris le temps de m'observer, de m'étudier ; de se mettre à ma porté. Puis, quant elle a sut, elle m'a investie sauvagement, supprimant tout ce qui ne vibrait pas au présent, et a pénétré mon être d'un éclat de sapience.

Je savais désormais ce que j'étais, qui j'étais et même quel était mon devenir ; j'étais une graine. Mais patience, le feu qui s'était allumé couvait tous les secrets de ma transformation. Quelque part une œuvre se rêvait, inven­tait une existence, déjà prête à passer à l'étape suivante ; la conception !

Cependant il me faillait encore attendre. L'enfer qui s'était allumé dans mes entrailles s'éteignait rapidement, étouffé par en voile qui recouvrait mes sens et me plongeait dans un étrange sommeil. Je n'étais plus qu'une ab­sence !

 

Je ne sais combien de cycles se sont écoulés depuis que j'ai perdu conscience. Le temps s'est évaporé comme un souvenir lointain. Qu'importe ! L'ennui s'est envolé avec lui en camarade fidèle et dévoué. C'est bien !

L'embrasement qui me consumait ne s'est pas éteint, il s'était mis en veille et s’enflamme de plus belle. Il en devient si intense qu'il gronde dans toutes les fibres de mon être, maintenant un éternel présent dans lequel je ne cesse de bondir d'une extrême à l'autre. Tantôt j'ai la sensation de me répandre, tantôt celle de me contracter à l'infini, comme pour trouver ce qui, finalement, est essentiel ; ce qui n'admet plus de question, n'a qu'une réponse. C'est ! Il n'y a rien d'autre à dire ! Cependant cet état permanent de brusques changements diamétralement opposés, consomme et répand une phénoménale énergie, dense et enivrante. Puis cet antagonisme perpétuel, à l'implacable précision, accapare peu à peu tout l'espace. Alors, ce mouvement énergétique donne naissance à une résonance, à un son qui, tel un mystérieux mantra, part en quête de l'uni­vers.

Cette fois-ci, l’œuvre ne se rêve plus, elle a définitivement franchi le pas et a entamé la conception de mon être. Une chaleur intense consume ma chair et me plonge au cœur de la matière. Mes sens refont surface m'apprenant avec stupeur que mon corps s'est transformé pendant mon sommeil ; il a doublé de volume. Cette fois-ci, plus de doute, je vais enfin savoir quelle genre de graine je suis, donc ce que je vais devenir. C'est enivrant, mais effrayant aussi ! Surtout à cause de cette perception qui m'annonce une accélération temporelle exponentielle. En d'autres termes, et bien que cela ne soit pas pour tout de suite, cela implique un raccourcissement de ma durée de vie. C'est déstabilisant une prise de conscience pareille quasiment à la naissance, comme si on m'offrait le chronomètre supervisant ma vie. D’ailleurs la matière en frissonne comme si elle se remémorait de bien surprenants et étranges souvenirs tandis que l'odeur de la mort nous entoure.

Cependant, je laisse questionnements et frissons derrière moi, mes sens sont pris en otages par l'usine de la vie qui prend naissance dans mes fibres. Elle m'inonde, me séduit, me détruit repoussant inlassablement mes li­mites tant physiques que psychiques. Elle propulse le temps à travers mon corps, l'accélère. Aussitôt il se met à battre sur un rythme endiablé saturé par l'énergie ainsi décuplé qui l'anime de plus belle. Cette catapulte temporelle semble ouvrir mes perceptions me donnant une forme de prescience, de prémo­nition de mon avenir que je ne pourrai cependant pas affiner.

Un voile descend doucement sur le monde et m'enveloppe lente­ment. Je sombre à nouveau, profondément déstructurée, tandis qu'un change­ment majeur s’opère.

Mon être s'est ouvert ; au sens propre cette fois-ci. Une part de moi-même a jailli et s'est électrisée. Instinctivement, je n'ai pas lutté, de toute façon je n'étais pas en mesure de le faire. Alors, un mot s'est formé ; germe, et a débusqué une vague idée. Mais un flash... et absence... !

 

Se sont des vagues de chaleur étouffante qui m'ont réveillé. Tout d'abord, celle qui explose à l'intérieur de mon être, inlassablement plus intense, puis, celle qui m'entoure et semble avoir une source extérieure. Et enfin la puis­sance combiné des deux qui pousse toujours plus loin la vie. Au milieu de cette fournaise, un éclair de compréhension a frappé mon esprit et m'a un peu mieux définie. Ça y est sais quelle genre de graine je suis ; une graine de fleur !

Je le sais parce que je me suis encore modifiée. Une partie de moi s'est élevée vers les cieux, fouillant la terre, attirée par la chaleur extérieure et tendue vers mon devenir, vers ma vie. Ma vie de fleur dont je parviens, pour l'heure, difficilement à me faire une idée ; tant tout ce qui m'entoure et me concerne n'a de cesse que d'être en devenir. S'en est épuisant, tout comme ma progression dans cette terre gorgée d'eau et de lourdeur.

Soudain, la fatigue m'assaille, comme si j'avais été au bout de moi-même, et peut-être bien plus loin encore, tandis que le voile vient remettre un peu de flou sur l'étonnante réalité où se délitent mes perceptions, happées en une chute sans finalité, sans but. Ma conscience quant à elle se détache, se pâme et s'évanouit. Silence... Un flash... Absence !

 

Je reprends conscience au milieu d'énormes vibrations qui, tantôt me bercent, tantôt me secouent. Y prenant plaisir, je m'installe dans une forme d'indolente béatitude. Je me laisse bercer ! Par la vie, par le temps ; par l'ins­tant. Et, sans crier gare, une émotion se plante dans mon bulbe ; ça y est, je suis en bouton ! Enfin prête à éclore, à exister. J'en ai le vertige. A moins que cela ne soit le tonnerre dévastateur qui provient de mes entrailles et qui fait monter la pression tout autour tant il pousse ma conscience vers les cieux. Un grondement né de lui-même qui a travers son explosion sublime le vertige.

Une fraction de seconde, je suis sous extase, subjuguée par cette naissance qui est la mienne. Puis l'ivresse me conduit au delà de toutes limites. Elle plonge au plus profond de mon être, s'y concentre, s'y condense. Mais en même temps, elle s'élève avec force et frénésie vers l'espace où au contraire elle s'étend. Et, brusquement, presque avec violence, l'univers explose ; ne laissant place qu'à l'unicité. Cette déflagration me traverse, me transperce et jaillit au sommet de mon être. Je me pâme, je m'ouvre...

 

La lumière inonde tout, aussi bien au dehors qu'au dedans. Le so­leil est déjà là, survolant la terre de ses rais bienfaiteurs, encore bas sur l'hori­zon. Il fait, de ce fait, encore un peu frais. Mais c'est agréable, cela apaise l'éblouissement que créé cette tension lumineuse focalisant tous les pans de ma réalité. Tout comme cette légère brise qui s'est finalement installée et me berce langoureusement ; amoureuse de mes senteurs les plus délicates. Elle s'en em­pare, s'en délecte. De son souffle, les aère à la surface de la terre pour qu'elles courent le monde.

Encore secouée par cette extraordinaire explosion énergétique, je m'alanguis quelque temps et repose ma matière récemment dévastée. J'ai perdu pied sous le coup de l'intensité. Je ne suis plus en mesure de rien, juste d'être là, de sentir la vie qui coule ; d'être partout à la fois en perpétuelle transformation. De laisser aller !

Après ce bref et intense renoncement, j’appréhende cette nouvelle forme de moi-même, l'explore, la découvre. Puis une fois pleinement impré­gnée, je m'en empare. La sensation est d'ailleurs des plus curieuses ; une sorte de mélange entre de l'impensable et du surfait. Une forme extrême de la dualité émotionnelle qui tend la matière. Mais la vie m'interpelle, puis m'appelle. Elle me susurre cette longue complainte qui fait vibrer les cœurs, rêver les âmes et qui sublime la passion de la vie en une explosion de jouissance immatérielle et magnifique.

Instinctivement, une partie de mon être se tend vers le ciel, vers la lumière, le soleil. L'autre, quant à elle, me relie profondément à ma matrice, ma terre, ma mère... J'exploite, j'existe et j'appartiens à deux monde différents et distincts. Deux vibrations opposées pourtant indissociables l'une de l'autre parce qu'elles sont complémentaires, qu'elles forment une irréductible union universelle.

Soudain, un éclair traverse mon espace ; il survole ma vie. Alors l'évidence éclate ici, là, et partout à la fois ; dans chacune de mes fibres, chacun de mes atomes. Là encore, je suis face à deux mondes manifestement opposés ; celui de l'énergie et celui de la matière. Et bien que je sois une part issue de ces deux univers, je sais déjà que je ne pourrai survivre que dans l'un deux.

Cette brutale appréhension de mon évanescence existentielle frappe sauvagement mon esprit, fait frémir mes fibres. Alors la peur inonde la part de matière, fige ma sève et glace la terre tandis que mon esprit sublime la paix ; l'espérance de l'éternité universelle et indivisible. Cependant, je ne puis rester sous le joug de ces sentiments extrêmes et contradictoires ; il me faut re­venir à l'instant, revenir au présent. C'est ici que j'existe, dans cet espace tempo­rel et sidéral où je n'arpenterai que quelques petits cycles. Qu'importe ! Je prends ce qui est offert. J'accepte cette éphémère existence ; ce passage éclair !

Alors l'acceptation pulvérise toute forme d'appréhension et me ra­mène vers une perception plus pragmatique de mon devenir. Finalement, tout n'est pas si gris, si noir. Il y a de la lumière, cachée quelque part, une sorte de ré­demption, une forme d'espoir ; un je ne sais quoi impalpable autant qu'inquali­fiable et qui laisse pourtant planer la conviction d'être inébranlable.

Ce frais regard dissipe les derniers voiles de mon approche exis­tentielle alors je retourne à l'essentiel, au delà du mental, de l'esprit. Je replonge dans cette lumière qui est partout, éclairant toute chose de l'intérieur, et qui pourtant n'est vraiment nulle part puisqu'elle n'est qu'une. Elle me ramène à l'instant, à cette œuvre en devenir , cette existence qui s'éveille. Alors je plonge pleinement au cœur de ce moment d'extase, de bonheur, qui ne se conjugue qu'au présent.

Un présent qui est mon expression, ma condition, mon devenir. Je suis sa chose, sa création, son image et je n'existe que pour le servir, pour l'em­bellir. Un présent qui partage l'universelle lumière en une infinité de petites étincelles. Puis me montre celle qui me correspond.

A sa vue une sorte d'énergie monte en moi, me donne le vertige. En fait, je m'identifie, me personnalise. Alors quelque chose m'illumine de l'in­térieur, fait valser ma conscience et transperce ma matière d'une fulgurante im­pulsion électrique. Mais parvenue à son sommet, elle continue sa progression vers l'espace, laissant derrière elle la part matérielle, déjà tendue vers les cieux, pour se propulser plus loin encore vers l'univers, vers l'inconnu ; l'indicible !

Cette sorte d'implosion ne s'en tient pas là et se reproduit une fois encore, mais maintenant, c'est dans la profondeur de la terre que plonge le cou­rant électrique. Aussi intense que dans le sens opposé, il semble se jouer des obstacles qu'il rencontre jusqu'à ce qu'enfin, il stoppe sa progression. Il est arri­vé à destination, au cœur de la matière à laquelle, aussitôt, il me lie. D'une part pour le temps qui m'est imparti, d'une autre pour une forme d’éternité.

A cet instant, je transcende les dualités qui s'affrontent en moi, l'unicité s'installe, rendant tout à la simplicité. Il n'y a plus qu'un courant unique, composé de tout, de rien ; en tout cas rien qui puisse se dire, se voir. Tantôt il explore les sphères célestes, tantôt il plonge à l'essence de la matrice ; il unit l'esprit et la matière.

De cette réunion naît une onde de révélation amenant une connaissance accrue de mon identité. Je me découvre faite de plaisir intense et profond. D'une inextinguible envie de partage et d'échange. Et surtout, d'une vague de désir qui semble englober la totalité de la gamme des sentiments. Une étincelle de vie qui pulse à travers tout l'univers.

Puis, la pulsation se contracte, se concentre et s'ancre résolument dans la matière. La vie reprend ses droits, et en main les fils de mon existence, tandis que j'harmonise ma conscience avec le monde qui m'entoure. De l'es­sence de toute vie qui me fait don de sa présence, de son offrande et, de l'astre solaire qui, de sa douce chaleur, m'appelle à la vie. Alors mon être tout entier se tend vers cette merveilleuse source de chaleur et de force qui, bien qu'elle me consume, me nourrit et me séduit. Je me sens resplendissante, fraîche, légère.

A cet instant, j'ai pleinement conscience de ce que je suis et du chemin qu'il me reste à effeuiller. Mon identité ne fait maintenant plus de doute, je suis fille de la terre et du soleil, porteuse de rêves, créatrice de passion, excitatrice des sens. De mon parfum suave j’envoûte les sens tandis que du car­min de ma robe sanglante j'emprisonne les cœurs valeureux, les esprits amou­reux ; je suis la fleur, je suis une rose !

 

La brise qui s'enivrait de mes fragrances s'est délicatement rafraî­chie et a pris mes sens en otages. De sa tendre humidité elle caresse mes pétales, mes feuilles, et délivre une douce sensation de fraîcheur qui appelle à la renais­sance. Une réminiscence qui s'avère être un véritable moment de bonheur, une pure jouissance existentielle.

Puis la résurgence s'estompe sous les assauts de mon sang, de ma sève qui jaillit en moi. Je m'abreuve à la source, me nourrit de la terre qui se propulse et pulse à travers tout mon être. Elle m'inonde de son amour de mère, comble tous mes besoins essentiels. Mais malgré cette puissance dévastatrice qui bouillonne en moi, me faisant frissonner jusqu'au bout des épines, je me sens frêle et fragile. Assujettie à trop de paramètres extérieurs agressifs sur les­quels je ne peux agir, je me sens soumise au bon vouloir du destin. Une fois en­core me voici face à l'inconnu, face au vide. Cela créé une tension soudaine qui ramène mon esprit vers la fugacité de mon devenir. Cependant je ne m'installe pas dans cette perception angoissante et me focalise sur l'instant, sur la vie et ce qu'elle m'offre.

C'est sur mes pétales et mes feuilles que la destiné tisse son sur­prenant dessein. En fait, le présent envahit mon être, s'accapare de mon corps, ne laissant libre court qu'à l’imminent et à l'émotion qu'il suscite.

Je me pâme et m'alanguis sous la délicate moiteur qui m'enve­loppe tandis que ma tige et mes épines acérées semblent pourfendre l'onde aé­rienne qui me berce ; comme si elles tentaient de retenir les dernières goutte­lettes de rosée que la brise n'a toujours pas emportées pour que je puisse, en­core un peu, m'en délecter. Comme la vie, la nature et les choses sont finale­ment bien faites. Il n'y a visiblement pas de hasard ; juste une forme de l'exis­tence avec un mode d'expression particulier. Une présence qui anime la vie dans l'instant, se moquant des avants, des après qui ne sont ni de l'être, ni de ce qui l'anime et encore moins de ce qu'il en irradie.

La sensation est tout autre maintenant, de la surface de mon être, j'ai plongé dans les profondeurs. J'y ai découvert la plus petite étincelle qui anime chaque chose en secret et semble se multiplier à l'infini. Elle a pris pos­session de ce que nous avons en commun, l'âme, et m'a plongé au cœur de la grande création. Alors la braise est devenue fournaise, elle a tout envahit, tout illuminer et cet éclat à tout unifié. En rentrant si profondément en moi, je suis parvenue au-delà de moi-même ; dans l'univers. Je suis dans le flot de la vie, dans cette part délétère, impalpable qui unie tout chose.

Puis, l'éblouissement s'est envolé et je suis revenu en surface.

 

Le soleil est monté doucement dans le ciel et de ses rayons, a es­tompé les dernières exhalaisons de fraîcheur. Cependant, sa chaleur est encore douce et suave, il me cajole, me dorlote, se préparant lentement à me harceler. Il sait que sous son feu je serai obligée de m'ouvrir, de m'offrir, de perdre un peu de moi-même pour ne pas mourir sur l'instant. Une fois épanouie, mon parfum s'élèvera vers les cieux, enivrera l'espace. Pourtant, je sais que ce don, auquel je ne puis que me soumettre, me conduira doucement mais inévitablement vers cet instant ultime où, dans un dernier flamboiement de vigueur et d'effluves, je m'éteindrai définitivement.

Mais pour l'heure, je me baigne dans la tendre et opiniâtre cha­leur. Le soleil désormais à son zénith est plus entêtant que jamais, inondant l'es­pace d'une forme de lourdeur, mâtinée de langueur, qui laisse s'écouler la vie paisiblement. Subjuguée par cette indolence, je me laisse langoureusement ber­cer par le léger vent qui s'est levé depuis peu. Attentive à ma vie qui s'écoule et s'envole inexorablement !

Malgré cela, je me sens bien ; épanouie ! Pourtant une étrange ten­sion commence à s'installer en moi, faisant courir un frisson le long de mes fibres. Mon instinct me laisse pressentir que tout ceci est annonciateur d'un profond changement dans ma vie ; sans que je sache sous quelle forme il se pro­filera. En tout cas, une chose est sûre, ce sera mon ultime transformation.

Cet éclairage sur mon futur proche, ne me met pas en confiance ; il me tend. Sous cette pression en pleine expansion, mes perceptions sensorielles envisagent le monde sous une nouvelle approche qui porte à ma connaissance le message profond et caché dont elles sont porteuses. Il y est question de peurs, de frayeurs et d'angoisses. Cette prise de conscience fait naître une énergie dé­vastatrice qui s'accapare de mes sens, puis de mes émotions et s'installe profon­dément dans la matière confisquant mes réflexions. Alors l'indéniable vérité m'illumine, m'envahit ; le danger et la mort rodent tout autour ; prêts à frapper.

 

Le gravier du chemin menant à ma demeure s'est mis à bruisser ; quelqu'un vient ! Il approche paisiblement, cependant son pas est lourd, rési­gné ; étalant ses ondes loin dans la terre. Il en émane une pulsation émotion­nelle qui m'instruit sur sa nature, tout comme le feulement métallique et brutal, ne cessant de se répercuter dans l'espace, m'informe de ses intentions. Cet être humain, cet homme qui vient de s'arrêter n'est pas étranger à la menace ; elle est plus dense et plane plus lourdement, contracte mes fibres, accélère ma sève.

Soudainement, il tend la main, s'empare de l'une puis de l'autre. Il nous observe, nous jauge, nous hume préparant visiblement son forfait. A n'en pas douter, certaines d'entre nous verront le fil de leur vie tranché net ; section­né par l'acier rutilant !

Pour fuir cet horrible moment où la peur me submerge totalement, je me focalise sur le vent, le soleil et le bien qu'ils m'offrent. Me relie plus pro­fondément à ma naturelle, ma merveilleuse mère, profitant des derniers ins­tants que, peut-être, il me reste à vivre. Je m'en imprègne, m'en imbibe, m'en inspire. Plonge en son sein, retrouve l'inconditionnel amour. Alors, la peur, le doute et toute forme de rancœur me quitte définitivement. Le présent me sub­merge, se réinstalle, me rend mon essence première. Il n'y a plus que l'amour, sa pulsion créative, son envie et je n'ai d'autre choix que de faire confiance à sa prescience, de m'offrir à son bon vouloir.

Mais un contact glacial suspend ma transe existentielle. Le froid et sordide métal vient de se poser sur ma tige ; il prend son temps, semble hésiter, se questionner. Suis-je à son goût ? Mon parfum l’envoûte t-il ? Et ma robe, flatte t-elle sa vue ?

Le temps d'un soupir, les questions restent en suspend. Alors, un silence pesant s'installe, retenant le temps et même la vie. Paradoxalement et bien qu'elle ne représente qu'un élément temporel, cette fraction de néant semble ne plus vouloir cesser ; comme installée pour l'éternité. Dans cette bulle ontologique, les transports énergétiques de l'univers se sont figés ; ils ne me vi­sitent plus. La vie elle-même semble prisonnière, annihilant toute possibilité d'évolution, de régénération, de création et surtout de pérennité.

Je suis le jouet, l'esclave de cet abîme suspendu. Enlisé dans un aura prophétique de douleur et de souffrance émanant d'un sécateur à l'arrêt sur le fil de mon existence.

La beauté dont j'étais si fière, qui me gonflait de sève et d'orgueil, ne m'aura t-elle pas, finalement, conduit à ma perte ? J'espère avoir largement présumé de mes charmes, de mes atouts tentant, une dernière fois, de conjurer le vide qui s'est abattu sur ma vie.

Mais hélas, je n'ai présumé de rien. La pression du métal s'est in­tensifié et pénètre ma fibre ; il me sépare de ma terre, de mon essence. Cepen­dant la blessure ne me fait pas souffrir ; je ne la ressens pas ! Mais la coupure à ma terre me bouleverse totalement, estompant déjà ce qui restait de mon envie de conquête.

Je viens de perdre une part de moi-même dont, malheureusement, je ne parviendrai jamais à faire le deuil. Comment pourrais-je oublier cette en­sorceleuse relation, se tendre partage, cet échange en profondeur ? Ces mer­veilleux instants de bonheur, de plénitude. Cette enchanteresse énergie qui me reliait à tout, sans exception, et faisait naître en moi une foi inébranlable en la justice et la bonté de tout ce qu'il advenait. En la certitude d'être le bon être, au bon endroit, participant activement à la création permanente de l'univers. Mais là, c'est la rupture, abrupte, totale !

 

Ma destiné a bifurqué. Elle a prit ce qui reste de ma vie en otage. Alors, j'ai rejoint le bouquet de mes congénères, délicatement posé sur le bras de l'être qui est, pourtant, notre bourreau.

Tant bien que mal, je m'adapte à cette nouvelle et dernière étape de mon existence. Je reprends possession de mes sens, mes perceptions, m'im­prègne de toutes les différences qui m'entourent ; m'abreuve de toutes ces nou­veautés. Je ressens le paysage que nous traversons, la pression de l'air sans cesse inégale. Le mouvement du vent, sa texture, sa température. Puis, l'inten­tion créatrice qui anime, accompagne et réalise cette réalité. Enfin mon atten­tion se porte sur l'être que j'appréhende encore comme un tortionnaire. Je plonge dans ses profondeurs, en quête de son essence et suis surprise par l'éner­gie qui l'anime en secret.

C'est un genre de musique barbare aux percutions lourdes et péné­trantes, un battement, une vibration qui tend pourtant à la célébration. Une ode étrange et intense qui fait naître une puissante émotion porteuse de promesses, de rêves, d'espoirs. Mais aussi de sourires, de caresses, de désirs ; de plaisirs !

Revenant de ma surprise, je contemple l'origine de cet émoi aux saveurs universelles et découvre ce qu'il nomme son cœur. C'est de là que viennent l'énergie, la musique ! Elles s'unissent, se tendent et se tordent pour obtenir l'accord parfait, la vibration initiale, omniprésente ; l'unicité. Alors la musique donne naissance à une émotion intense, profonde qui touche la part essentielle de mon être et me subjugue de sa beauté. C'est l'amour !

Il émane de tout son être en une vague cotonneuse et apaisante. Il semble avoir plusieurs objectifs parce qu'il donne l'impression de s'épancher dans plusieurs directions, d'avoir plusieurs buts. En fait, il est matérialisé sous la forme d'une énergie masculine, à la vibration bien différente de la mienne, et se dirige vers des énergies féminines. Au regard de sa couleur, de sa texture, de son merveilleux éclat, les liens tissés sont intenses et profonds ; comme pour une femme, pour une fille.

Mais je dois me tromper. L'une des vagues que je viens de perce­voir sur cette mer d'amour se dirige vers une île solitaire, couleur de peine et de tristesse.

S'y dresse des temples tendus vers les cieux en si grands nombres que la terre a disparue, engloutie sous les pierres et les statues. Tous sont voués à la même déesse dont le visage ne cesse de hanter les murs des édifices, les têtes des sculptures. Finalement, il ne sont que les images des restes calcinés d'un amour désormais impossible. Pourtant au centre de l'île une éblouissante clarté lance un rai de lumière vers les cieux, comme si l'amour était toujours là, aussi vivace et vivifiant, illuminant l'espace de sa magnificence. Malgré la souf­france, la douleur, une flamme n'a pas pu, pas voulu s'éteindre ; s'en était trop pour elle. Elle a continuer à resplendir pour devenir le seul point de référence, la seule étincelle de l'existence à laquelle on s'accroche, se raccroche et s'attache.

Intriguée par cette surprenante vision, je tente de percevoir cet être plus en profondeur, plus en finesse. Je me centre sur ses émotions, me branche sur sa matière puis, sa mémoire première.

Sa respiration s'accélère, son cœur bat plus fort quand j'explore et scrute sa mémoire physique où tout est écrit, imprimé ! Alors, tout s'éclaire. Son histoire me pénètre, me transperce et me donne le vertige.

Sa femme est décédé depuis plus de vingt ans, mais cette dispari­tion n'a pas tué son amour. Au contraire il en a ravivé la flamme, le désir, l'en­vie. Au fond de lui, cet amour est inextinguible, indestructible. Il est fait du magma énergétique de la vie. De l'union de deux êtres, de la fusion de deux âmes. Puis de son désespoir, de leur déchirure, leur arrachement.

 

Maintenant que je suis dans les profondeurs abyssales de sa pas­sion, je perçois les autres lignes directrices de ses élans amoureux. Sa fille partie depuis longtemps très loin d'ici dans le seul but de se libérer, de couper le contact. Ne supportant plus de voir son père révérer une vieille image du passé.

La vie qui, malgré les heurs, les plaies, les blessures, continue de le fasciner, de l'émerveiller.

Les autres êtres vivants auxquels il porte la même attention qu'à lui-même.

Les végétaux, les animaux qui participent à l'équilibre et la vie sur la surface du globe.

Et puis, sans que rien ne l'annonce ni ne m'y prépare, son amour pour nous, qu'il a choisies délicatement, avec ferveur, avec vénération parce que nous étions les fleurs préférées de son épouse et que nous sommes justes assez fermées pour ressembler à l'image qu'il a de son propre cœur. Nous sommes les prêtresses, les offrandes d'une cérémonie toute particulière ; aujourd'hui, c'est leur anniversaire de mariage !

Finalement, je ne mourrai pas pour rien, je servirai une cause, une émotion, une énergie. Cela me rassure, m’apporte la paix et fait éclore un senti­ment de joie, de satisfaction. Je veux bien offrir ma vie pour célébrer l'amour et qu'importe le temps où il se conjugue. Je veux faire resplendir sa flamme pour qu'il nourrisse le cœur des amoureux. C'est une noble, une belle cause et je suis flattée de la servir.

Maintenant, je perçois ce que j'avais, inconsciemment, occulté tout à l'heure. Il n'y a pas plusieurs niveaux ou plusieurs facettes à l'amour, mais une seule et même énergie. Elle semble multiple du fait de l'incarnation de celui qui la dispense parce qu'il en personnalise une infime partie, s'y identifie. Mais en définitive il n'a que l'Un qui englobe toute la création. Cette énergie qui se trouve partout, dans tout, en tout instant et qui permet aux atomes, aux molé­cules de se marier afin d'engendrer les hybrides qui animeront la vie. De l'amour au mouvement, du mouvement à la vie et de la vie à l'amour. Quelle magnifique création, quelle splendide et incroyable révolution !

 

Mais je vais devoir vous laisser, cela fait longtemps que je resplen­dis dans ce vase laissant constamment virevolter mes exhalaisons entêtantes. La fatigue commence à se faire sentir ; un peu comme si le voile voulait revenir couvrir mes yeux et ma conscience. Je sais et sens déjà qu'il finira par le faire, cependant je ne veux pas qu'il s'installe trop vite ; il enchaînera ma mémoire, brisera ma conscience et fera mon apologie.

J'ai du mal à porter pétales et feuilles qui déjà se flétrissent, je me sens lourde, ankylosée. De temps à autre, mon esprit vacille et semble s'éteindre, signe que le voile fait son chemin et se rapproche inexorablement de moi. Mais je ne le crains pas. A quoi bon craindre l'inéluctable...

En fait, je suis en paix. J'ai vécu ma vie de fleur pleinement, m'épanouissant sans cesse dans l'ivresse de l'existence et de son universalité qui inondait ma conscience. Fleur à l'extérieur, univers à l'intérieur. Mais tout ceci est derrière moi dorénavant. Il me faut profiter de l'instant à présent, le voile s'approche lentement ; cette fois-ci, il ne s'arrêtera pas, ne fera pas volte-face. Il viendra jusqu'à moi !

Je n'ai ni la force, ni l'envie de lutter, de le fuir. Il se tient à ma ver­ticale, comme suspendu à une quelconque décision, puis descend lentement.

Le sentiment qui s'installe en moi me surprend, c'est une invita­tion au voyage, au changement, à la transmutation. J'appréhende mes derniers instants enivrée par la paix, par la résonance à l'unisson. Je suis Un !

Mais... il est tout proche désormais et doucement je sombre, je perds conscience. Mais, avant de m'éteindre, un dernier flash pour la route, une absence et puis... silence !

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